Edouardine

Publié le par DonaSherif

Thème d'écriture : et si on parlait d'amour ? :)

 

 

Ce n'est pas que les autres filles n'étaient pas jolies mais Édouardine était la plus belle de toutes et elle avait vraiment quelque chose en plus !

 

Georges l'attendait comme tous les matins. Depuis plusieurs jours, il sentait quelque chose grandir dans son cœur. C'était difficile à dire mais une image venait à lui pour l'exprimer : c'était comme une grande feuille de thé qui se déployait dans une tasse d'eau chaude et son parfum raffiné était irrésistible. On était obligé de boire. Ou alors, ça faisait comme une chips de beignet aux crevettes qui gonfle comme un oiseau une fois placé dans l'huile bouillante. Ou alors une barbe à papa toute rose qui s'entortille autour d'un bâton. Voilà à peu près ce qu'il ressentait lorsqu'il pensait à Édouardine, Georges.

 

Édouardine, en plus d'avoir un prénom assez rare au vu de toutes les Alexandra, Cassandra, Davina, Léa, Layana qui peuplaient la société moderne, était le genre de personne qu'on rêvait d'avoir pour amie. Elle était gaie comme un pinson, pleine d'humour, de fantaisie et ne craignait pas de dire ce qu'elle pensait. C'était une sacrée camarade de jeu. Elle aimait jouer à tout, avec tout le monde et sans faire de chichis.

Et puis elle était coquette. Coquette et élégante. Elle n'avait pas son pareil pour assortir les couleurs. Souvent les filles se disaient stupéfaites et admiratives par les tons inhabituels de ses vêtements qu'elle choisissait de manière ostensible.

 

Pourtant madame Chavignol, la gouvernante, avait bien souligné le fait qu'on ne devait pas se changer tous les jours comme elle le faisait, Édouardine. La lingerie ne désemplissait pas de la semaine, il fallait veiller à avoir des affaires propres et commodes. On n'avait pas besoin d'être élégant ici !

Elle était sévère, la Chavignol. On la craignait parce que d'un mot, elle pouvait vous renvoyer dans votre chambre ou appeler vos familles. Du reste, tout en elle était signe de disgrâce. Un grain de beauté poilu planté sur le haut de sa joue droite aggravait la disharmonie de ses traits grossiers. Le vertugadin de graisse qu'elle portait aux hanches saillait sous ses tuniques amples souvent fleuries de motifs larges qui accentuaient ses rondeurs. Ses yeux noirs comme la braise étincelaient de colère rentrée quand elle avait décidé de réprimander un de ses pensionnaires. Du reste, c'était bien elle qui avait fait supprimer le petit brioché que Georges fourrait de beurre et de confiture au goûter.

Il avait été ulcéré de cette injustice. Mais ce n'était rien par rapport à Édouardine qui avait plusieurs fois essuyé les plâtres depuis son arrivée. Avec le caractère qu'elle avait Édouardine, franche et sincère, c'était inévitable que ça coince avec la Chavignol. Tout était sujet à la morigéner : trop de rouge à lèvres, trop de sucre au dessert, pas assez de sieste, toujours en retard au goûter quand elle partait se promener dans le grand parc de la propriété, trop de linge utilisé pour rien !

 

Édouardine, c'était une Chouane, elle disait. Une Chouane de Vendée, invincible et dure qui avait atterri ici, en suivant le déménagement de sa famille. Elle n'était méchante qu'avec ceux qui l'étaient pour elle. Elle avait ça dans le sang, elle disait, butée comme une vieille Sioux, aussi sauvage que ces indigènes d'Amérique, au visage peint. C'est de cette manière que Georges se représentait les Chouans et les Indiens : des guerriers de grandes prairies, vivant de cueillette et de chasse, à cheval et toujours au combat pour défaire l'injustice. Cette figure épique convenait bien à Édouardine. Il avait du respect pour elle parce qu'elle ne se laissait pas faire. Elle avait ça dans le sang, elle disait, Édouardine.

 

Heureusement, ils arrivaient à prendre bien du bon temps ensemble. Maintenant, Édouardine passait tous ses après-midi avec Georges. Elle lui montrait les arbres de l'immense jardin et nommait toutes les fleurs des massifs avec des préciosités de langage qui traduisaient sa finesse d'esprit. Elle parlait aux fleurs, inventait des dialogues charmants avec les roses ou les tulipes, les flattait d'un revers de main comme si elle eut parlé à des petits animaux domestiques.

 

Et puis, il y avait eu le gâteau. Pour son anniversaire à Georges, Vanessa avait apporté une belle Forêt noire, bien emballée dans un beau carton enturbanné d'un ruban multicolore avec trois tresses de frisottis de couleurs vives et brillantes comme la soie. Pour un peu, on aurait mangé le ruban autant que le gâteau tellement il était beau. C'était dommage que Vanessa, qui ne souriait jamais – et pourtant elle venait souvent – avait toujours l'air de s'ennuyer quand elle était là. Elle avait coupé le gâteau, chantonné un Joyeux Anniversaire maussade, pour la forme, mais on sentait que le cœur n'y était pas. Et quand elle était repartie après avoir fait ses multiples recommandations habituelles (les médicaments, le linge) et reproches ( les factures de la restauration, de la lingerie), Georges s'était empressé d'aller retrouver Édouardine. Il lui avait offert une part de la Forêt noire, emballée dans de l'aluminium. Et puis surtout, les yeux dans les yeux, il lui avait offert le ruban.

«  Oh ! Qu'il est beau ! » s'était écriée son amie. Elle était ravie. Il savait bien que ça allait lui faire plaisir. Édouardine adorait les couleurs et là, c'était un arc-en-ciel qu'il lui donnait, tout en bouclures souples et diaprées qui s'enroulaient autour des doigts. Qu'allait-elle en faire ? s'était-elle

demandée, émerveillée. Un bracelet ? Un collier ? Des bagues ?

 

Le lendemain matin, à l'entrée du salon des Jasmins – celui du petit déjeuner – Georges vit Édouardine qui l'attendait. D'ordinaire, c'était toujours lui qui arrivait en premier. Comme il s'approchait d'elle, le cœur content, Édouardine fit un petit signe lui indiquant de rester discret. Dans un rire gourmand qui alluma ses prunelles d'une vive étincelle, elle souleva sa jupe mauve, celle qu'il aimait beaucoup, avec des grands volants. Et resplendissante, auréolée de lumière, elle montra le ruban.

 

Georges ne vit pas le rouge à lèvres qui filait par les fines ridules de la bouche, ni le chemisier vert olive qui s'ornait d'un soleil brodé au point de croix porté pour l'occasion ; ne vit pas non plus les genoux cagneux tournés l'un vers l'autre à hauteur de la rotule et qui divulguèrent alors leur secret. Georges vit le ruban. Édouardine avait enroulé le ruban sur ses bas de contention, en guise de jarretière. Une belle jarretière multicolore dont toutes les couleurs, avivées par le soleil, irisées par ses rayons, dessinaient des perles sur la cuisse blanche, malingre et ridée.

 

Georges n'avait jamais eu de chance avec les femmes mais là, à la résidence des Trois Tilleuls, il venait de rencontrer sa bonne amie.

Les yeux dans les yeux, ils ne virent pas les aides-soignantes fondre de tendresse devant eux. Mais l'une d'entre elles, la Ryanna, s'approcha vivement et dans une œillade entendue, pleine d'affection, elle dit : « Attention vous deux ! Voilà la Chavignol ! »

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D
Merci, Cob ! C'est un beau commentaire ;)
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C
Ca donne envie de vieillir........ :)
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