Les Enfants de mes voisins

Publié le par DonaSherif

 

Je crois que les enfants de mes voisins sont en train de devenir fous...

Ou bien alors, c'est moi. 

 

C'est moi qui vais le devenir avec leurs cris et hurlements. Pas moyen certains après-midis de se concentrer sur certaines tâches qui requièrent tant d'attention : écrire une histoire, une fiction courte à chute amusante ; écrire un incipit ou bien le dénouement d'un hypothétique roman ; faire des recherches pour alimenter le tempérament ou la psychologie d'un personnage ; étudier de très près les recettes de cuisine de ce site appétissant sélectionné et mis en favoris par mes soins dans l'utopie de mieux nourrir ma petite famille ... Ou éventuellement, me pencher sur cette partition de piano si jolie et entêtante mais qui finit toujours par m'exaspérer. Dans le pire des cas, au moins corriger un paquet de copies qui traînasse, toujours témoin de ma procrastination, dans le tiroir gauche, de mon bureau.

Pas moyen... Je ne sais pas ce que font les parents mais moi, si j'avais des enfants qui s'amusaient à faire sauter des trains, à faire exploser des gares et des immeubles, à bombarder autant de villes et de gens du haut de leur balcon comme ils ont l'habitude de le faire (car on les entend hein !)... eh bien !... je crois que je m'en alarmerais. Du moins, je ferais en sorte que mes voisins ne soient pas empêchés de vivre sereinement un après-midi ensoleillé. Là on est obligés de fermer les fenêtres, on étouffe ! Et cela ne masque pas vraiment le bruit : disons que cela atténue les cris de victoire de ces deux garnements quand ils ont détruit une partie de la planète avec leurs armes à implosion et réflexion sensorielles (j'ai entendu plusieurs fois leurs dialogues débiles... ! )

Pas moyen de travailler.
Qu'à cela ne tienne : ça fait longtemps que je dois m'occuper de centaines de choses à descendre à la cave. Je suis une conservatrice née. J'entasse, j'entasse sans vraiment pouvoir jeter. Tout au plus, je parviens à me débarrasser du surplus qui encombre l'appartement au moment où mes tiroirs, placards et meubles en tout genre ne peuvent plus fermer normalement.
C'est un jour à prendre ce genre de décisions !
Sans plus tarder, je m'attelle à la tâche. Armée de sacs poubelles, cartons et cabas en plastique, je trie selon un procédé qui se révèle toujours être le même :
- de un, je jette les vieux journaux, magasines, papiers obsolètes, petits objets ou bibelots défectueux ou cassés, vêtements devenus immettables.
- de deux, je mets dans les sacs cabas, des vêtements devenus importables pour raison essentiellement esthétique mais qui peuvent constituer une réserve de patchwork conséquente
- de trois, je range dans les cartons, les objets dont nous ne nous servons plus
- de quatre, je trie à présent les chaussures et ne conserve que celles de saison
- de cinq, je dispose les sacs et cartons devant ma porte d'entrée, cherche les clés de la cave ainsi que la lampe de poche, mets mes clés d'entrée dans une poche et mon portable dans l'autre
- de six, j'ouvre, sors les sacs et les cartons sur le palier, appelle l'ascenseur
- de sept, j'attends l'ascenseur et commence à me poser la question suivante : n'ai-je pas commis l'irréparable en souhaitant me séparer de toutes ces choses dont je ne veux plus ?
- de huit : l'ascenseur arrive quand j'en suis à la question obsédante : et si ça pouvait encore servir ?
- de neuf : je retiens d'une main les portes de l'ascenseur, obnubilée par le fait que j'ai fait un tri réellement drastique... Ne vais-je pas le regretter ?
- de dix, je laisse filer l'ascenseur, ouvre ma porte, ramène tous les sacs et les cartons, les emmène dans le salon... et recommence le tri...
A ce compte-là, cette activité peut me prendre une journée entière...

Après bien des heures ce jour-là, je résolus, fermement et sans plus flancher psychologiquement, qu'il me fallait résolument jeter un sac entier à la poubelle (au lieu de deux), descendre trois sacs cabas à la cave (au lieu de six) et réduire à un seul carton plutôt que trois, la descente de paires de chaussures (on ne sait jamais... en cas de tsunami ou de séisme nocturne, il vaut mieux posséder le maximum de paires de chaussures chez soi, elles peuvent servir à tout le monde! ). Et j'appelle l'ascenseur ! Et je ne flanche pas !

Je n'aime pas beaucoup aller à la cave. La mienne et située dans le troisième couloir, à droite. On y accède après être descendu au moins 1, déverrouillé la lourde serrure, fait face aux innombrables portes austères du couloir 1 et bifurqué dans une quasi obscurité dans le couloir 2.... Ces détecteurs de lumière sont assez pervers : on ne s'attend jamais assez à se retrouver dans le noir... Il faut bien faire trois pas avant qu'ils ne détectent réellement votre présence ! ...


La porte de ma cave a été illustrée par son ancien propriétaire d'une sorte de tête à barbe. Un visage, assez bonhomme ma foi, y est donc dessiné et salue votre arrivée d'une espèce de sourire grossièrement esquissée au pinceau. Il ressemble à une sorte de Père Noël. Sauf que lorsque vous introduisez votre clé dans la serrure, le monsieur vous regarde avec deux gros yeux. C'est un peu gênant... et ce côté Père Noël devient aussi le visage d'un espèce de psychopathe...

J'ai trop d'imagination !

Il faut dire que ma cave est l'avant avant-dernière de la série du couloir 3, tout au fond...
Je ne suis pas peureuse mais l'idée de me retrouver toute seule, au fond du troisième couloir, face à une tête de barbu qui vous regarde à hauteur d'homme, les yeux grand ouverts pendant que le couloirs 1 et 2 s'éteignent parce qu'ils n'y détectent plus votre présence... n'est pas spécialement quelque chose que je nommerais de rassurant.
Il y a toujours des drôles de bruits dans les caves : des bruits d'eau, des bruits de portes, des bruits... pas toujours identifiables, produits peut-être par des petites souris … ou des gros rats ! J'avoue que je ne m'y sens pas très à l'aise... Alors je me dépêche.

Ce jour-là, la cave est si encombrée que je suis bien obligée d'avancer, de scruter l'obscurité du fond avec la lampe de poche et de procéder à quelques déménagements pour pourvoir ranger les nouveaux arrivants. Le couloir 3 s'éteint... Il faut donc sortir de ce réduit étroit et tout juste éclairé de la lampe Décathlon pour parvenir à se placer sous le détecteur de lumière... C'est du boulot ! Imaginez être coincé dans le fond de la cave avec la lampe de poche que vous tenez d'une main pendant que vous déplacez de l'autre une montagne de cartons, sacs et valises, tasseaux, vieille poussette, lit démonté, table de nuit devenue inutile, rouleaux de moquette inusités etc... eh bien ce n'est pas vraiment facile d'aller se rendre dans le couloir de manière à ce qu'il éclaire de nouveau !
Pourtant, il le faut bien : le chargement d'aujourd'hui exige cette manoeuvre.
Alors, le nez écrasé contre le tapis d'hiver de l'année dernière, tenant d'une main la botte de lattes du sommier qu'on a démonté, à cheval sur la glacière et de l'ancienne machine à coudre de ma mère, je bloque d'une épaule la pile de livres qui risque de chavirer, et je tire sur la planche amovible d'une ancienne bibliothèque qui me permettra de poser mon nouveau chargement tout en gardant l'équilibre !
Et la lampe de poche s'éteint.
Puis le détecteur 

 

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On a beau se dire dans ce moments-là qu'il ne faut pas céder à la panique ; on peut tenter d'appliquer les méthodes apprises en réflexologie, adopter les respirations préconisées par le sophrologue mais on peut dire ce qu'on peut dire, ce ne sont pas des moments commodes.


Bien sûr dans l'effort et aussi dans le noir total, j'entrevois une solution : tout lâcher et sortir au plus vite. 

Seulement voilà : tout jeter par terre reviendrait à me barricader le passage et peut-être aussi à me blesser. Il faut être précautionneuse. Dans l'obscurité, et distinguant tactilement les formes, je commence une longue et pénible ascension vers la sortie de la cave. Un voisin qui viendrait là, maintenant, tout de suite, rallumerait la lumière. Mais il n'y a pas personne. C'est impressionnant comme les distances sont démultipliées en longueur quand on se retrouve dans ce genre de situation. Et curieusement, j'entends encore plus de bruits que tout à l'heure. Le silence et l'immobilité imposées par une séance de totale obscurité ont le don extraordinaire d'augmenter massivement vos capacités auditives... Des borborygmes inquiétants circulent à présent dans les énormes tuyaux qui tapissent les trois couloirs. 


Inutile de se mettre à penser aux films angoissants que j'ai déjà vus et dont les clichés les plus terrifiants reviennent toujours en mémoire dans des moments plutôt anxiogènes. Il faut tout de suite chasser de mon esprit qu'un nid d'araignées peut être par là, juste au-dessus de ma tête ou pire... de ma main. Il ne faut surtout pas penser à ces faits divers, ces crimes crapuleux dont on ne trouve les détails morbides que dans le journal Détective ou bien dans la collection Série Noire.
Oublier ! Surtout oublier le visage de la petite fille dans le film « L'Exorciste » !

C'est le cœur battant et le souffle coupé par l'effort de rétention de la botte de lattes de sommier que j'essaie de tâter le mur le plus proche : je sais que la porte est par là... Je maudis le carton de livres qui pèse de plus en plus sur mon épaule droite. C'est au moment précis où croyant effleurer le mur de ciment que la caisse se renverse. Et c'est au même moment qu'un hurlement, horriblement strident, déchire la nuit ! Qu'est-ce que c'est ?... C'est là-haut, pas très loin, juste au-dessus. Ne pas céder à la panique ! Un autre cri ! Plus court, plus aigu aussi... Un autre long hurlement... Ca se rapproche ! Mais qu'est-ce que c'est ?? Ce n'est pas humain. Encore ! Des cris de cette teneur, ça ne peut être qu'animal.
Ou spectral...

Ce serait le moment où un zoom premier plan s'attarderait sur le visage de l'héroïne en proie à une angoisse irrépressible et qu'on devinerait dans l'ombre, le profil inquiétant d'un tueur sanguinaire. 

Le clair-obscur volontaire accentuerait parfaitement la lame d'un long poignard qu'un mouvement de bras élèverait doucement en l'air... Surtout ne pas penser à « Psychose » ! Surtout trouver la sortie ! Garder son sang-froid ! Mais comment, mais comment garder son sang-froid quand tout autour de moi résonnent, de plus en plus près, des hurlements aigus qui remplissent tout l'espace d'une ténébreuse et terrifiante angoisse et que je me sens en danger ??
Et d'un coup, une lueur blafarde qui vient du fond du couloir 1, des bruits de pas qui s'approchent et puis les cris, les cris encore, et puis la lumière du couloir 2 s'allume... et bientôt, c'est la lumière dans le couloir 3 ! Le 3 commence à la cave 22, je suis au 26, je vais mourir  !

Le destin des Hommes est ainsi fait que leurs capacités rationnelles peuvent être aussi fragiles qu'un parterre de roses soumis aux gelées printanières ; ce qui était mûr et fleuri et qui annonçait les premières chaleurs, périt, et la certitude du printemps laisse place aux derniers avatars de l'hiver dont on ne connaît, dans nos contrées, jamais vraiment la fin. Pardonnez ce commentaire solitaire et subjectif dans une prose qui se veut avant tout édulcorée et divertissante, c'est que le paroxysme de la situation m'engage à fignoler des comparaisons qui se veulent pseudo intellectuelles face à une réaction émotionnelle vraiment pas intellectuelle du tout…

C'est au moment où j'ai cru mourir que j'ai entendu prononcer distinctement ces mots :
- Mais vous allez arrêter de crier comme ça bon sang !
C'est ma voisine du deuxième... et ses horribles enfants. Même sortis de leur cage, ils continuent d'effrayer le monde de leurs cris inhumains et sauvages.
- Arrêtez de crier ! reprend Mme Duretel.
D'ordinaire, j'aime les enfants... Je ne sais pas vous, mais si c'était moi, je ferais en sorte que deux enfants aussi turbulents, des enfants capables de terroriser une jeune femme de mon genre, plutôt calme et rationnelle d'esprit, soient uniquement cantonnés à leur chambre dans un appartement entièrement capitonné d'un revêtement anti-bruit... Et qu'on les nourrisse comme des fauves dangereux, c'est-à-dire qu'on les démuselle juste le temps des repas...

Mme Duretel a l'air surprise de me voir. Nous nous saluons d'un rapide hochement de tête. Je vois qu'elle est propriétaire de la cave 24 et qu'elle y a fait installer l'électricité. Evidemment comme ça, c'est facile, ne puis-je m'empêcher de penser.
C'est la tête haute et l'épaule moulue, les reins douloureux et la nuque raidie que je verrouille la porte de ma cave, jette un sale regard au bonhomme peint en blanc et que je m'éloigne en dégainant un regard rogue et rancunier aux deux gamins qui, redécouvrant d'anciens jouets d'été, se mettent déjà à japper comme des gros chiens énervés.
Bientôt des aboiements intempestifs et sonores retentissent dans les trois couloirs mais c'est soulagée que je monte dans l'ascenseur et entrevois de faire une sieste méritée, les volets clos et les oreilles bouchonnées aux boules Quiès .

Chez moi, au quatrième étage.

 

Publié dans Tartinade-maison

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