Le cas du demi-poulet

Publié le par DonaSherif

 

 

Ces derniers temps, il m'arrive quelque chose d'étrange : je compte en demi-poulet.
Oui, depuis que j'ai pris conscience que nous nous nourrissions mal, que nous payions trop cher et consommions trop, j'ai décidé de dépenser moins et de manger mieux. C'est alors que je me suis mise à compter en demi-poulet. ..
Oui, c'est ainsi. Un bon poulet de grain, c'est à peu près vingt euros crus !... (je ne dis plus cash non plus!) ? C'est ma nouvelle monnaie-étalon.
Cette nouvelle lubie qui me fait convertir à l'échelle d'un poulet fermier toutes dépenses à envisager, parle très bien à mon esprit, si peu comptable de formation.
A présent, je cultive une sorte d'éthique visant, en pleine ville, à manger bio et à réduire le budget des dépenses quelles qu'elles soient. C'est un début mais un début certain.


L'autre jour ma fille, une adolescente ravissante que les grande enseignes du prêt-à-porter ont ciblé comme une de leurs principales victimes de la surconsommation vestimentaire, ma fille donc réclamait une avance sur son argent de poche pour acheter un très joli vêtement. J'ai écouté son argumentaire longuement. Il faut dire que ma fille est capable d'exposer un topos d'arguments absolument hallucinant et convaincant quant au fait d'acheter un nouveau vêtement qui ne sert à rien : un gilet sans manches, qui ne ferme pas, orné joliment de broderies ethniques sur le plastron.. soit ! Mais à quoi sert un gilet sans manches ? … Un gilet avec deux manches longues peut protéger du froid mais s'il en et dépourvu et qu'on ne peut même pas le boutonner, à quoi sert-il réellement ?
Le machin en question valait 9.5 euros.
- C'est le prix d'un demi-poulet … ai-je avancé comme ça. C'était la première fois...
- Maman ? a répliqué ma fille, interloquée...
- Un demi-poulet, c'est un repas pour trois, ma chérie...
- Qu'est-ce que tu racontes maman ? m'a-t-elle répondu sur le petit ton péremptoire qu'elle emploie quand elle estime que je ne comprends rien à sa vie adolescente, c'est-à-dire à la vie en général....
- Il faut être réaliste. Les temps sont difficiles et il faut apprendre à ne pas surconsommer... As-tu vraiment besoin de ce gilet ? Tu en as déjà plein... Tu dois apprendre à raisonner sur ces choses maintenant...


J'ai nettement vu dans le regard de ma fille que quelque chose ne tournait pas rond... C'était un peu tôt pour amener mes récriminations sur les enfants du Bengladesh qui travaillent dans les ateliers de confection délocalisés de Berschka ou d'H et M... Il faut parfois du temps pour amener l'un de vos enfants qui n'a jamais connu de restrictions matérielles à une prise de conscience du phénomène dit : « gaspillage »... quand il a vu ses parents gaspiller eux-mêmes pendant de longues années.
Un adolescent qui ne fait pas les courses familiales pour trois personnes au foyer, au moins une fois par semaine, avec l'argent qu'il a gagné à la sueur de son front et ce, après avoir été amputé des factures inhérentes à une vie civile et imposable, ne se rend pas vraiment compte de la valeur d'un poulet élevé au grain, acheté chez le boucher. Tout au plus estime-t-il que si la bête coûte si cher, on n'a qu'à manger moins onéreux, par exemple des hamburgers maison garnis de steaks décongelés ou bien, en cas de disette prononcée, des crêpes tartinées de confiture synthétique ou de Nutella à l'huile de palme... La question des lipides, des protides et des B12, des facteurs cancérigènes et de la pollution de la nature. Les factures de gaz et d'électricité, les impôts et les taxes, sa facture de cantine même,  lui sont un pays étranger.

C'est à cet objectif d'être moins dépendante du système, de dépenser plus intelligemment et de manger mieux que répond mon envie de produire, en autarcie et en pleine ville, les légume les plus courants que nous consommons. Comme le pied de patate planté dans l'ancien pot à géraniums a grillé en plein soleil sur le balcon et que nous n'obtenons, en plein été et ce, malgré nos efforts, que trois ou quatre tomates-cerises par semaine, j'ai décidé de louer une parcelle cultivable à la mairie de mon quartier. 


Je l'ai enfin obtenue... en plein hiver et à l'époque des gelées intensives. Il faut dire que je me suis cassée le dos, abîmé les mains et ai affiché les symptômes de l'angine trois fois par semaine... Je me rends bien compte que mes objectifs de vivre en autarcie urbaine, sont bien difficiles à mener de front avec une vie professionnelle bien remplie et un hiver particulièrement glacial. Il faudra attendre encore l'été prochain pour récolter les fruits des fraisiers et des framboisiers... Mais du moins, aurais-je essayé.. En attendant, je suis encore obligée d'acheter en supermarché.

Vivre en ville n'a pas que de désavantages. Au cœur de la cité, on peut aller au théâtre, au cinéma, pratiquer du multi-sports, des activités de loisirs etc... très facilement.

Pour gagner en qualité de vie, maintenant que les dépenses alimentaires sont amoindries, j'ai décidé que nous prendrions tous un abonnement annuel au théâtre. La programmation est exaltante cette année ! Et comme je consultais le catalogue pour réserver le meilleur des spectacles, j'ai compté que … mon choix montait à à peu près... une bonne vingtaine de poulets entiers... par personne !
Comme je voulais réitérer l'abonnement à la salle de Fitnesss, j'arrivais au double... de la vingtaine de poulets. La carte UGC illimité multipliée par trois membres au foyer s'ajouta à cette note qui finit par coûter le prix d'un demi-poulailler entier de volatiles élevés au grain ... Si jamais nous renouvelions l'année de danse et de comédie musicale payable au trimestre, j'arrivais même à compter en pintades de luxe, élevées en plein air, premier choix ! … Pour suivre cette allégorie animalière, j'ai ajouté à cela l'entretien de nos deux voitures… Je me suis retrouvée à compter non plus en pintades mais en dindons... farcis... ! Plus rares mais beaucoup plus goûteux... coûteux pardon !

Pour en revenir à ma fille, le jour du gilet sans manches, j'ai fini par diversifier ma technique de persuasion. Je lui ai démontré que son gilet en solde restait bien trop cher et que l'achat d'un livre de poche de littérature classique lui apporterait beaucoup plus de joie et de protéines nutritives à long terme. Elle n'a pas eu l'air d'accord tout de suite... Alors je lui ai dit :
- Tu vois, un bon Zola ou un bon Flaubert, ça t'accompagnera toute ta vie ! Un livre de poche c'est quoi... à peine un demi-poulet, le prix d'un paquet de cigarettes nocif pour la santé et c'est toujours moins cher qu'une place de cinéma tarif plein ! Tu comprends Poulette ?
Là, j'ai vu tout de suite que le substantif affectueux était en trop... Elle a tourné les talons et a filé dans sa chambre. Mais je connais ma fille : c'est une enfant sensée, elle reviendra bientôt chiner ma petite veste noire qu'elle aime tant avant de me piquer, tout en sourire, mon rouge à lèvres.

J'ai donc décidé de m'en tenir à mon échelle de conversion jusqu'à devenir autonome en production maraîchère dans mon petit lopin de terre arable coincé entre deux tours d'immeubles. Quand j'achète 12 brugnons , je compte deux cuisses de poulet ; deux paquets de pâtes : une cuisse... L'autre jour, j'ai acheté des barquettes de fraises Gariguette, production française : au moins deux cuisses ça valait ! J'ai bien regardé les fraises espagnoles, beaucoup plus grosses, beaucoup plus rouges, beaucoup moins onéreuses : seulement une aile ça coûtait !... Etrange...

J'ai craqué pour les françaises ! Et comme j'étais en virée, un peu plus tard, je me suis amusée comme une folle à la friperie du quartier ! On peut s'y habiller à pas cher.
En un poulet, l'affaire était faite : deux robes, deux hauts d'été et … un petit gilet sans manches, entièrement rebrodé... Ca va faire craquer Poulette !

Publié dans Tartinade-maison

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D
Ah ah ! Sympa, Jean-François ! ;)
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J
Cette nouvelle vaut tout un poulailler! ☺
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